1. L’EMDR
L’EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing ») est efficace dans deux tiers des cas de traumatisme, comme l’ont démontré de nombreuses études. C’est en 1987 que Francine Shapiro a découvert cette thérapie surprenante par les mouvements oculaires alternatifs, d’abord sur elle-même qui venait d’être traumatisée par une annonce médicale catastrophique, puis sur des anciens combattants hospitalisés pour névrose de guerre. Pour étayer le succès de son approche, cette littéraire se forme en psychologie, notamment aux thérapies comportementalo-cognitives (TCC) et devient membre du l’Institut de recherche mentale de Palo Alto. Shapiro bâtit un protocole de traitement inspiré de ceux des TCC, avec, entre autres, bilan pré et post-thérapie, échelles d’évaluation (des cognitions et des émotions), établissement d’une ressource de secours, formulaire de consentement éclairé (1). Nul doute donc que cela ne corresponde aux canons scientifiques exigés par l’époque, avec un protocole alourdi en conséquence, ce qui rend la méthode crédible.
La diffusion de l’EMDR est rapidement mondiale. En 2002, elle reçoit le prix Sigmund-Freud de psychothérapie. Mais quelle est la base de l’EMDR ? Dans l’EMDR, le sujet doit suivre des yeux les doigts du thérapeute qui font devant ceux-ci des allers-retours droite-gauche - droite-gauche plusieurs centaines de fois, pendant qu’en même temps il doit se concentrer sur l’image mentale du traumatisme (désormais appelée « la cible »). En fait, c’est de l’hypnose. Pourquoi ? Parce qu’on demande au sujet de réaliser simultanément deux tâches impossibles à effectuer simultanément, et on le demande comme une évidence. En effet, on ne peut pas se focaliser à la fois sur l’extérieur de soi et sur l’intérieur de soi, sur le dehors et sur le dedans, sur les doigts et sur la cible. Cette suggestion est un paradoxe typiquement hypnotique. En hypnose, il est habituel de charger le sujet de plusieurs tâches simultanées impossibles à faire en même temps. Comme on le demande comme une évidence, l’esprit conscient ne se méfie pas, très vite décroche et les mécanismes réparateurs de l’esprit inconscient peuvent se mettre librement en route.
Tout l’appareil d’allure scientifique dont s’entoure l’EMDR n’est qu’une ruse, volontaire ou involontaire, pour faire accepter cette suggestion comme rationnelle par les patients et les thérapeutes alors qu’elle est parfaitement irrationnelle. D’ailleurs certains sujets entrent ainsi rapidement dans une transe profonde. Comme méthode d’induction, les allers-retours de doigts rappellent l’utilisation ancienne du métronome pour produire l’état hypnotique. Il est essentiel de comprendre que l’EMDR est de l’hypnose pour deux raisons. La première est qu’avec quelques simples aménagements, on peut la rendre encore plus efficace parce qu’encore plus hypnotique (MESMAY). La seconde est que si l’EMDR réussit dans deux tiers des cas, elle échoue dans un tiers. Dans cette situation, l’EMDRiste pur, celui qui vient des TCC et ne connaît que cette approche du traumatisme, est coincé, tandis que le praticien d’hypnose passe tout bonnement à une autre méthode hypnotique de traitement (MHIM ou Photoshop mental).
L’EMDR permet de faire faire au sujet un virage à 180 degrés sans qu’il s’en rende compte...
Aujourd’hui donc, tous les hypnotistes utilisent les mouvements alternatifs des yeux en première intention, parce que cette technique est hypnotique, marche dans deux tiers des cas et permet le recours à une autre approche hypnotique en cas d’échec, autre approche dont elle facilite l’emploi parce que le sujet s’est déjà habitué à regarder son traumatisme en face. L’EMDR contient en effet une deuxième ruse, plus profonde, qui est la source réelle de son efficacité. Elle permet de faire faire au sujet un virage à 180 degrés sans qu’il s’en rende compte. Pendant qu’il suit les doigts des yeux, il oublie qu’il ne fuit plus l’événement qui l’assaillait et qu’il fuyait sans cesse. Maintenant, il le regarde en face plusieurs centaines de fois de suite en l’appelant « la cible ». Or, une cible, on tire dedans. Ainsi le sujet n’est plus passif, a repris de l’action sur l’imagerie mentale du trauma, est sorti de son sentiment d’impuissance et il est guéri. C’est finalement à cela que servaient le déguisement d’allure scientifique de la méthode et le paradoxe hypnotique des deux tâches impossibles simultanément.
2. MESMAY, l’EMDR pour les nuls.
Le protocole de l’EMDR est lourd. La séance est longue : 60 à 90 minutes. Pour tenter de diminuer les 30 % d’échecs, la technique reçoit des sophistications de plus en plus nombreuses (plus ou moins grande vitesse de défilement des doigts et autres). Celles-ci font perdre de vue la ruse essentielle que je viens de décrire en s’égarant dans des voies alambiquées peu probantes. Ou bien, pour expliquer les échecs, on élabore la notion de « traumatismes complexes », pour impliquer que leur traitement sera complexe. Il n’y a pas de traumatisme complexe ; il est là ou il n’est pas là, intense ou modéré, avec des complications ou non, facile à diagnostiquer ou non. Le traumatisme est toujours simple, seuls les thérapeutes peuvent être complexes. Enfin, le terme EMDR est « labellisé ». Il existe une école officielle d’EMDR qui interdit à ceux qui ne s’y sont pas formés en son sein d’utiliser le terme, sous peine de poursuites légales.
Il n’y a pas de traumatisme complexe, il n’y a que des thérapeutes complexes
Voilà pourquoi il m’a paru important de recentrer la technique sur la ruse hypnotique essentielle, de la simplifier en la potentialisant grâce à une communication plus efficace. J’ai donc considérablement appauvri l’EMDR. J’appelle cette approche MESMAY. Cet acrostiche partiel qui veut dire « Mes Mouvements Alternatifs des Yeux » est une blague faible, comme je les aime. Puisque chacun y va de son sigle, j’y vais du mien ! Autre blague faible permise par la première mais qui plaît aux patients à qui je déclare :
« Le traitement du traumatisme, c’est MESMAY ; alors on va faire ça avec MESMAY ». Au début, ils pensent que je parle de leur grand-mère. Une séance habituelle de MESMAY dure vingt minutes, parfois trente. Elle comprend un prologue, deux actes séparés par un entracte et surtout pas d’épilogue.
Prologue 1. On explique brièvement la technique, en quelques mots. Etre concis est important. On indique au patient que si, en cours de route, il est fatigué, on pourra faire une pause. On ne parle que de fatigue oculaire, de rien d’autre. 2. On définit la cible. Elle doit être la pire image mentale du traumatisme, vraiment la pire parmi toutes. Ce n’est pas dangereux car nous ne demandons pas au patient de revivre l’événement mais seulement de travailler une image. D’autre part, quand elle sera désactivée par le traitement, le sujet ne pourra pas nous dire qu’il y avait pire encore. Les autres images seront forcément moins graves. Nous ne risquons pas ainsi de nous laisser embarquer dans d’autres séries de MAY. Le traitement sera terminé. 3. On prévient le patient que la séance finie, on se quittera sans se parler pour que le cerveau fasse son travail au mieux. Cette discrète théâtralisation sert à ce que le sujet prenne totalement confiance dans l’importance de ce qui vient d’être fait avec succès.
Acte I
Le thérapeute se met de trois quarts par rapport au patient pour ne pas être dans son champ de vision. Il lui demande de se concentrer mentalement sur la cible tout en suivant les index et majeur collés ensemble du praticien que celui-ci balade de droite à gauche et inversement devant ses yeux. Le rythme de poursuite oculaire impulsé doit être assez…
Pour lire la suite de cet article de la revue...
L’EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing ») est efficace dans deux tiers des cas de traumatisme, comme l’ont démontré de nombreuses études. C’est en 1987 que Francine Shapiro a découvert cette thérapie surprenante par les mouvements oculaires alternatifs, d’abord sur elle-même qui venait d’être traumatisée par une annonce médicale catastrophique, puis sur des anciens combattants hospitalisés pour névrose de guerre. Pour étayer le succès de son approche, cette littéraire se forme en psychologie, notamment aux thérapies comportementalo-cognitives (TCC) et devient membre du l’Institut de recherche mentale de Palo Alto. Shapiro bâtit un protocole de traitement inspiré de ceux des TCC, avec, entre autres, bilan pré et post-thérapie, échelles d’évaluation (des cognitions et des émotions), établissement d’une ressource de secours, formulaire de consentement éclairé (1). Nul doute donc que cela ne corresponde aux canons scientifiques exigés par l’époque, avec un protocole alourdi en conséquence, ce qui rend la méthode crédible.
La diffusion de l’EMDR est rapidement mondiale. En 2002, elle reçoit le prix Sigmund-Freud de psychothérapie. Mais quelle est la base de l’EMDR ? Dans l’EMDR, le sujet doit suivre des yeux les doigts du thérapeute qui font devant ceux-ci des allers-retours droite-gauche - droite-gauche plusieurs centaines de fois, pendant qu’en même temps il doit se concentrer sur l’image mentale du traumatisme (désormais appelée « la cible »). En fait, c’est de l’hypnose. Pourquoi ? Parce qu’on demande au sujet de réaliser simultanément deux tâches impossibles à effectuer simultanément, et on le demande comme une évidence. En effet, on ne peut pas se focaliser à la fois sur l’extérieur de soi et sur l’intérieur de soi, sur le dehors et sur le dedans, sur les doigts et sur la cible. Cette suggestion est un paradoxe typiquement hypnotique. En hypnose, il est habituel de charger le sujet de plusieurs tâches simultanées impossibles à faire en même temps. Comme on le demande comme une évidence, l’esprit conscient ne se méfie pas, très vite décroche et les mécanismes réparateurs de l’esprit inconscient peuvent se mettre librement en route.
Tout l’appareil d’allure scientifique dont s’entoure l’EMDR n’est qu’une ruse, volontaire ou involontaire, pour faire accepter cette suggestion comme rationnelle par les patients et les thérapeutes alors qu’elle est parfaitement irrationnelle. D’ailleurs certains sujets entrent ainsi rapidement dans une transe profonde. Comme méthode d’induction, les allers-retours de doigts rappellent l’utilisation ancienne du métronome pour produire l’état hypnotique. Il est essentiel de comprendre que l’EMDR est de l’hypnose pour deux raisons. La première est qu’avec quelques simples aménagements, on peut la rendre encore plus efficace parce qu’encore plus hypnotique (MESMAY). La seconde est que si l’EMDR réussit dans deux tiers des cas, elle échoue dans un tiers. Dans cette situation, l’EMDRiste pur, celui qui vient des TCC et ne connaît que cette approche du traumatisme, est coincé, tandis que le praticien d’hypnose passe tout bonnement à une autre méthode hypnotique de traitement (MHIM ou Photoshop mental).
L’EMDR permet de faire faire au sujet un virage à 180 degrés sans qu’il s’en rende compte...
Aujourd’hui donc, tous les hypnotistes utilisent les mouvements alternatifs des yeux en première intention, parce que cette technique est hypnotique, marche dans deux tiers des cas et permet le recours à une autre approche hypnotique en cas d’échec, autre approche dont elle facilite l’emploi parce que le sujet s’est déjà habitué à regarder son traumatisme en face. L’EMDR contient en effet une deuxième ruse, plus profonde, qui est la source réelle de son efficacité. Elle permet de faire faire au sujet un virage à 180 degrés sans qu’il s’en rende compte. Pendant qu’il suit les doigts des yeux, il oublie qu’il ne fuit plus l’événement qui l’assaillait et qu’il fuyait sans cesse. Maintenant, il le regarde en face plusieurs centaines de fois de suite en l’appelant « la cible ». Or, une cible, on tire dedans. Ainsi le sujet n’est plus passif, a repris de l’action sur l’imagerie mentale du trauma, est sorti de son sentiment d’impuissance et il est guéri. C’est finalement à cela que servaient le déguisement d’allure scientifique de la méthode et le paradoxe hypnotique des deux tâches impossibles simultanément.
2. MESMAY, l’EMDR pour les nuls.
Le protocole de l’EMDR est lourd. La séance est longue : 60 à 90 minutes. Pour tenter de diminuer les 30 % d’échecs, la technique reçoit des sophistications de plus en plus nombreuses (plus ou moins grande vitesse de défilement des doigts et autres). Celles-ci font perdre de vue la ruse essentielle que je viens de décrire en s’égarant dans des voies alambiquées peu probantes. Ou bien, pour expliquer les échecs, on élabore la notion de « traumatismes complexes », pour impliquer que leur traitement sera complexe. Il n’y a pas de traumatisme complexe ; il est là ou il n’est pas là, intense ou modéré, avec des complications ou non, facile à diagnostiquer ou non. Le traumatisme est toujours simple, seuls les thérapeutes peuvent être complexes. Enfin, le terme EMDR est « labellisé ». Il existe une école officielle d’EMDR qui interdit à ceux qui ne s’y sont pas formés en son sein d’utiliser le terme, sous peine de poursuites légales.
Il n’y a pas de traumatisme complexe, il n’y a que des thérapeutes complexes
Voilà pourquoi il m’a paru important de recentrer la technique sur la ruse hypnotique essentielle, de la simplifier en la potentialisant grâce à une communication plus efficace. J’ai donc considérablement appauvri l’EMDR. J’appelle cette approche MESMAY. Cet acrostiche partiel qui veut dire « Mes Mouvements Alternatifs des Yeux » est une blague faible, comme je les aime. Puisque chacun y va de son sigle, j’y vais du mien ! Autre blague faible permise par la première mais qui plaît aux patients à qui je déclare :
« Le traitement du traumatisme, c’est MESMAY ; alors on va faire ça avec MESMAY ». Au début, ils pensent que je parle de leur grand-mère. Une séance habituelle de MESMAY dure vingt minutes, parfois trente. Elle comprend un prologue, deux actes séparés par un entracte et surtout pas d’épilogue.
Prologue 1. On explique brièvement la technique, en quelques mots. Etre concis est important. On indique au patient que si, en cours de route, il est fatigué, on pourra faire une pause. On ne parle que de fatigue oculaire, de rien d’autre. 2. On définit la cible. Elle doit être la pire image mentale du traumatisme, vraiment la pire parmi toutes. Ce n’est pas dangereux car nous ne demandons pas au patient de revivre l’événement mais seulement de travailler une image. D’autre part, quand elle sera désactivée par le traitement, le sujet ne pourra pas nous dire qu’il y avait pire encore. Les autres images seront forcément moins graves. Nous ne risquons pas ainsi de nous laisser embarquer dans d’autres séries de MAY. Le traitement sera terminé. 3. On prévient le patient que la séance finie, on se quittera sans se parler pour que le cerveau fasse son travail au mieux. Cette discrète théâtralisation sert à ce que le sujet prenne totalement confiance dans l’importance de ce qui vient d’être fait avec succès.
Acte I
Le thérapeute se met de trois quarts par rapport au patient pour ne pas être dans son champ de vision. Il lui demande de se concentrer mentalement sur la cible tout en suivant les index et majeur collés ensemble du praticien que celui-ci balade de droite à gauche et inversement devant ses yeux. Le rythme de poursuite oculaire impulsé doit être assez…
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Dr Dominique MEGGLÉ
Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées, en pratique libérale depuis 1997. Cofondateur de la CFHTB, président de l’Institut Erickson Méditerranée et président d’honneur de l’Institut Erickson de Normandie. Conférencier et formateur, il est l’auteur de plusieurs livres, dont : Erickson, hypnose et psychothérapie (Retz, 2005), Les Thérapies brèves (Satas, 2011), Douze conférences (Satas, 2011), Le traumatisme mental, signes, diagnostic, traitement (Satas, 2021), Les chaussettes trouées (Satas, 2023).